Overview:  Rue89, a French media outlet, speaks with Hollywood Branded’s CEO, Stacy Jones, about House of Cards and how product placement actually works.

Placement de produits : le mystère du Nokia dans « House of Cards »
MARQUES ET SÉRIES  06/03/2015 à 15h31
Andréa Fradin | Journaliste
http://rue89.nouvelobs.com/rue89-culture/2015/03/06/placement-produits-mystere-nokia-house-of-cards-258061
Dans la dernière saison de la série US, certains personnages sont équipés par de nouvelles marques, toujours très montrées à l’écran. Echange d’e-mails éclairant avec Hollywood, sur le placement de produits.
Des politiciens qui s’échangent des textos tard dans la nuit, des discours télévisés retransmis devant des personnages rivés sur leur smartphone ou leur tablette, en train de chercher le dernier article sur la dernière polémique en cours à Washington… Pas de doute, « House of Cards » est bien dans son temps.
Extrait d’un épisode de la première saison de « House of Cards », où figure des plans sur un iPhone (Capture d’écran/Netflix)
Dès sa première saison, la série produite par Netflix, la fameuse plateforme qui propose films et séries en streaming, a été remarquée pour sa capacité à intégrer les modes actuels de communication. Les SMS entre Franck Underwood (Kevin Spacey), politicien aux dents qui perforent le parquet, et son petit monde, s’affichent directement à l’écran. La caméra n’a plus à se pencher pour lorgner sur le téléphone des personnages. Tintement caractéristique, interface graphique : les textos font partie intégrante du décor, si ce n’est du scénario même.
ECHANGES DE TEXTOS DANS « HOUSE OF CARDS »
Netflix, 2013
Au-delà d’une adéquation avec la réalité, cette absorption des joujoux technologiques de notre époque est aussi (avant tout ?) une véritable aubaine pour les marques desdits gadgets. Apple, BlackBerry, Microsoft, Samsung, PlayStation… Tous ont leur place dans l’univers de la série. Sur une table, au mur d’un hôpital, dans la main de Franck Underwood ou de sa femme Claire… Et le pire, c’est que ça marche.
Tiens, t’as vu le portable de Machin ?
Business Insider raconte ainsi comment des utilisateurs d’iPhone, le smartphone d’Apple, mettent la main à la poche pour avoir une sonnerie du téléphone BlackBerry, utilisée par le personnage de Franck Underwood dans les premières saisons. En tapant le nom de la série dans le magasin en ligne d’Apple, ce son apparaît. Prêt à être acheté.
Moi-même, en me replongeant dans la dernière saison, sortie d’un bloc le 27 février dernier, je n’ai pu m’empêcher de faire remarquer à mon compagnon de canapé :
« Tiens, t’as vu, Machin [pour éviter tout spoiler, ledit personnage sera ici nommé “Machin”, ndlr] utilise un Windows Phone maintenant. C’est bizarre, avant y avait que des iPhone et des BlackBerry… »
Observation forcément suivie de la remarque suivante :
« Faut croire que Microsoft a mis les moyens cette année ! »
Extrait du premier épisode de la saison 3 de « House of Cards », où figurent des plans sur un téléphone Microsoft (Capture d’écran/Netflix)
Je ne suis pas la seule à m’être interrogée devant cette avalanche de produits Microsoft. Et devant cette avalanche de produits tout court.
Silence radio
The Next Web, qui a mis en ligne tous les plans de la dernière saison où figure du matos high-tech (allez voir, ça vaut le coup d’œil), s’écrie même :
« Pourquoi tout le monde dans cet univers semble adorer le Windows Phone de Nokia ? Comment se fait-il qu’un seul politicien possède toujours un BlackBerry ? Et qu’a fait Samsung pour faire en sorte que les gens n’achètent que ses télés ? »
Extrait du premier épisode de la saison 3 de « House of Cards », où figurent des plans sur des téléviseurs Samsung (Capture d’écran/Netflix)
Qu’ont fait ces marques, précisément ? Bonne question, à laquelle il est difficile d’obtenir une réponse. Contactées par e-mails, ces entreprises n’ont pas encore répondu à mes sollicitations. Certaines n’ont même pas pris la peine de répondre tout court – y compris un « je reviens vers vous » poli qui n’aboutit jamais.
Même silence radio du côté des sociétés de production de la série : Media Rights Capital (MRC) et Trigger Street Production – celle de l’acteur Kevin Spacey. En revanche, Netflix a rapidement répondu à mes demandes, m’indiquant que le sujet concernait bel et bien les producteurs du côté de MRC.
Fort heureusement, le phénomène est de plus en plus examiné, particulièrement aux Etats-Unis.
Le script envoyé à une liste d’entreprises
Sur le principe, le placement de produits n’a rien de nouveau. On ne rappellera jamais assez que les prototypes des séries télé actuelles, les fameux « soap operas » (littéralement, « spectacle de savon »), tirent précisément leur nom des marques de lessive qui en sponsorisaient la production. Voilà bien longtemps que les marques ont saisi le potentiel du divertissement audiovisuel.
La différence, c’est que désormais la publicité est plus finement intégrée aux œuvres, films ou séries. A tel point qu’elle en devient presque imperceptible en tant que telle : si l’enseigne est bien associée à tel ou tel personnage (l’Aston Martin de James Bond, le camping-car Winnebago pour « Breaking Bad », le White Castle d’Harold et Kumar), sa promotion est presque oubliée. Combo gagnant.
Dans les séries, le placement produit attise aussi de plus en plus les convoitises : cible préférée des marketeux en 2006 selon cette étude [PDF] (la télévision représentant 71,4% des produits placés), les dix feuilletons les plus populaires ont totalisé presque 30 000 placements produits en 2008, selon Priceonomics !
Comment se passe ce bombardement publicitaire ? Jay Newell, professeur à l’école de journalisme et de communication de l’université de l’Iowa, également auteur de « L’Histoire cachée du placement de produit », nous éclaire dans un e-mail :
« Pour de nombreuses productions hollywoodiennes, la société de production envoie une version préliminaire du script à une liste toujours plus conséquente d’entreprises spécialisées dans le placement de produits. »
Lingerie, bagnoles, ketchups…
Cet interlocuteur me renvoie vers le site internet de l’association professionnelle de ce secteur si particulier, l’Erma : Entertainment Ressource and Marketing Association. Lingerie, bagnoles, portables, boissons ou même marques de ketchup : s’attarder sur la longue, très longue clientèle de ces intermédiaires du placement de produits (tout aussi nombreux) permet de se rendre compte de l’ampleur du marché.
Même Amnesty International est demandeur de ce genre de promo ! Quand les avions de Dassault se débrouillent pour obtenir une place de choix dans le film familial « Allô maman, c’est Noël ». Un clip promotionnel (voir ci-dessus), qui recense les placements de l’industriel, figure même sur le site d’A List Entertainment, la boîte qui se charge de trouver des opportunités pour cette marque – comme pour d’autres.
C’est d’ailleurs comme ça que ça marche, à en croire Jay Newell. Une fois les scripts des boîtes de production entre les mains, ces intermédiaires recherchent le moment idéal pour caser les produits de leurs clients :
« Par exemple, si le script d’une comédie contemporaine prévoit une scène dans une cuisine, l’entreprise de placement de produits va consulter sa liste de clients pour des appareils ménagers, des casseroles et des poêles, des plats et de la nourriture – toutes les choses qui pourraient apparaître dans une cuisine. »
« Une espèce de “troc” »
En cherchant sur le site, j’ai réussi à trouver les contacts des entreprises qui comptent Apple, Microsoft ou BlackBerry parmi leur clientèle. Je leur ai demandé si elles avaient tenu un rôle dans la négociation d’accords pour « House of Cards ».
Bingo ! Il semblerait qu’en bonnes professionnelles de la pub, ces sociétés voient ici l’opportunité de faire parler d’elles, et de leur métier. Hollywood Branded, qui représente BlackBerry, nous détaille dans un long e-mail les rouages du métier, par la voix d’une certaine Stacy Jones.

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Le personnage tient-il le produit ? En parle-t-il ? Sept critères pris en compte par la société de placement de produits américaine Hollywood Brander (Hollywood Branded)
En charge du marketing, et dans le placement de produits à Hollywood depuis vingt ans, elle nous confirme que sa boîte gère les deals entre la marque de mobiles et les producteurs de « House of Cards » depuis la toute première saison. Le fonctionnement prend en compte tout un tas de critères (voir l’infographie ci-dessus), et ressemble à la description fournie par Jay Newell :
« Habituellement, nous recevons le script, une invitation à le lire, ou au moins un synopsis et des détails qui nous permettent d’analyser pleinement l’opportunité pour chaque marque avec laquelle nous travaillons. »
En revanche, assure-t-elle, aucune rémunération n’est ici impliquée :
« Nous travaillons avec la production pour fournir – sans payer la production – des appareils BlackBerry […].
Nous travaillons avec la production associée à Media Rights Capital, qui est en charge d’une espèce de “troc”, dans lequel nous prêtons un produit à la production, afin de les aider à économiser de l’argent, puisqu’ils n’ont pas à acheter les produits dont ils ont besoin pour établir une mise en scène proche de la réalité, avec des accessoires à l’écran. »
« Hey, envoyons-leur quelques bières ! »
Aucun chèque signé ? L’affirmation semble difficile à croire, mais elle recoupe un témoignage d’une autre marque associée à « House of Cards » : AB InBev… bière officielle du dernier opus de la série.
Il y a quelques jours, un de ses porte-parole a ainsi assuré au site spécialisé dans l’actualité du marketing, Advertising Age, qu’aucun accord financier ne les liait à la série. A l’en croire, son entreprise a simplement regardé la série et s’est dit :
« “Hey, envoyons-leur quelques bières. Ça va peut-être devenir une assez bonne série sur Internet.” Et nous avons été en quelque sorte chanceux, à juste voir que ça pouvait potentiellement devenir quelque chose d’énorme. »
Jay Newell donne raison à la marque de bière :
« Il n’existe pas de grille tarifaire (vous payez X dollar(s) par seconde d’exposition). De nombreux accords, ceux de “House of Cards” compris, sont présentés comme ne faisant l’objet d’aucun versement. »
Selon lui, cette logique tombe finalement sous le sens : ni la marque, ni les studios n’ont la possibilité de fixer avec certitude la valeur d’une apparition à l’écran pour un produit. Il précise :
« Par exemple, l’entreprise ne saura pas si la marque sera utilisée par la suite, ne saura pas la taille ou la composition de l’audience, ou même la date finale de sortie. Toutes ces incertitudes réduisent la valeur d’un placement de produit. »
Pour lui, l’enjeu pour les marques est moins lié à un retour sur investissement quantifiable qu’à un principe tout bête : occuper l’espace à la place de la concurrence.
Quand même quelques gros chèques
Pourtant, certains n’en démordent pas. Le New York Post par exemple – certes, pas toujours très fiable – affirmait il y a quelques jours à ce sujet :
« Des experts suggèrent que le coût pour apparaître dans une série de Netflix se situe quelque part entre 50 000 dollars pour cinq secondes d’apparition à l’écran et 200 000 dollars si votre marque fait partie intégrante de la scène, comme certaines consoles de jeux de Sony. »
Si elle estime que « les articles sur le sujet dans les médias sont très exagérés », Stacy Jones le reconnaît : le prêt de produits est la règle, mais d’autres contrats, plus classiques, existent.
Selon elle, ils impliquent soit un partenariat publicitaire (la marque partage sa promo avec la série, sans que cette dernière ne mette la main à la poche), soit un gros chèque. Cette spécialiste n’hésite d’ailleurs pas à lancer une pique (certes, avec des pincettes) aux marques concurrentes de BlackBerry et Apple (deux marques « ancrées depuis des années à Hollywood ») :
« Bien que je ne sache rien des détails de la production, mon hypothèse (je peux me tromper) est que Samsung et Nokia Windows ont approché la production en offrant des accords basés sur une rémunération, afin de devenir [des marques] établies des personnages. »
Ce qui expliquerait pourquoi, brutalement, tous les personnages et tous les lieux du feuilleton se retrouvent avec exactement la même télévision en cette nouvelle saison.
L’exemple du jeu « Monument Valley »
Ces deux témoignages viennent en tout cas confirmer ce qui n’était jusque-là que des rumeurs : oui, « House of Cards » fait bien l’objet d’un placement de produits intensif.
Il faut dire qu’avec un coût moyen par épisode estimé autour des 3 à 4 millions de dollars – là encore, MRC n’a pas confirmé –, l’opération est alléchante.
Et fait, en plus, encore et toujours ses preuves du côté des téléspectateurs-consommateurs.
Ainsi, quelques heures après la sortie de la nouvelle saison sur Netflix, « Monument Valley », un petit jeu auquel Franck Underwood joue sur sa tablette (et qu’il mentionne même à de nombreuses reprises), a vu ses ventes exploser – ses créateurs affirment que rien n’a été versé.
Vous n’avez pas fini de voir des produits bien placés.

Stacy Jones

Stacy Jones has become a world-renowned specialist in branded content. Now it’s her mission to share her expertise and help brands and other business owners and executives leverage the tools our agency has crafted in building brand awareness – using the same proven methods she’s built her agency on and leveraged for client success.